mercredi 26 février 2003

Paix foireuse

Alain Finkielkraut m’agace. Il m’agace parce qu’il est de cette sorte d’intellectuels dont j’ai le sentiment qu’ils prennent un malin plaisir à compliquer autant qu’ils les complexifient, les concepts les plus ardus, les pensées les plus hermétiques et les situations les plus nouées. Il m’agace parce que son raisonnement sur le monde dépasse souvent de beaucoup l’appréhension que j’en ai. Il m’agace à vrai dire d’autant plus que je crois qu’il a raison et que le fond de sa pensée, bien plus limpide que la logorrhée qui l’entoure, m’apparaît désormais comme une évidence. Qu’allons-nous faire de l’Irak ?

Longtemps je me félicitais, comme beaucoup, de la fermeté affichée par la France, l’Allemagne et la Belgique face au bellicisme obstiné de l’administration américaine. Je reste persuadé, bien après Fénelon, que « la guerre est un mal qui déshonore le genre humain » et, bien avant Yoda, que personne ne devient grand par sa pratique... Il n’en reste pas moins, l’histoire nous l’a montré il n’y a pas si longtemps, qu’il y a aussi des paix coupables, comme de longs silences obscènes posés sur la souffrance des peuples. Le petit jeu diplomatique qui se joue bruyamment dans les couloirs des Nations Unies et les antichambres des palais officiels, les joutes verbales ineptes des journaux à fort tirage ne doivent pas nous faire perdre de vue l’essentiel.

L’essentiel, c’est bien cette souffrance irakienne qui ne se dilue pas dans le flot des discours éloquents et des petites insultes entre amis, mais qui appelle notre compassion à défaut d’aiguiser notre esprit critique. Car la « logique de paix » défendue par la France risque de se traduire dans les faits par un immobilisme confortable pour nos consciences (et notre économie), tandis qu’à l’ombre du régime irakien désarmé des hommes, des femmes et des enfants continueront de mourir. En voulant maintenir à tout prix l’embargo, les Américains ont fait preuve d’un entêtement assassin qui a causé la mort de milliers de personnes par manque de soins et de nourriture. En voulant à tout prix maintenir une paix qui permet au régime dictatorial de Saddam Hussein de rester en place, quel avenir proposons-nous aux populations de l’Irak, sinon celui de probables nouveaux massacres ?

Non, la guerre n’est pas une solution. Elle est « toujours un échec », comme le rappelait le président Chirac. Il n’en reste pas moins que la paix défendue par la France n’apparaît pas comme une alternative satisfaisante à l’aune des souffrances irakiennes. Il faut dire que les gouvernements, qu’ils soient américains ou français, font peu de cas des Irakiens et de leur devenir. La compassion n’est pas une donnée économique ou géostratégique... À défaut d’éclairer le monde, la Liberté qui veille à l’entrée du port de New York, non loin de l’immeuble des Nations Unies, devrait éclairer les consciences. Mais si sa faible lueur ne va pas jusque-là, comment viendrait-elle jusqu’à nous ?

dimanche 9 février 2003

Comme Icare

« Dieu dit : Que la lumière soit et la lumière fut.
Dieu vit que la lumière était bonne,
et Dieu sépara la lumière et les ténèbres.
Dieu appela la lumière jour et les ténèbres nuit.
Il y eut un soir et il y eut un matin : premier jour. »


Genèse, I, 3-5. Trad. La Bible de Jérusalem, éd. du Cerf, 1973.




Une nuit vient. Les cuivres du couchant, qui effrayèrent mon bien-aimé, étendent leurs rayons sur le monde. Le silence de la nuit est plein de ces petites peurs qui se murmurent mon nom entre elles et qui, dans un écho de ma pensée, font toutes ensemble un bruit plus grand que celui de la mer. Les drapeaux et les hommes se lèvent, et la nuit vient, comme une ombre soudain définitive, une noirceur de l'âme, comme un malheur.

C'est le moment pour être heureux. On s'oppose à la nuit comme on peut, je suppose. Un amour qu'on froisse dans ses draps, une prière pour le matin…

Il y avait un beau soleil pourtant, un vrai soleil d'hiver qui chauffe à peine à travers l'air glacial. Qu'est-ce qu'ils ont tous avec l'été ? Un soleil d'été, c'est comme un glaçon sur la banquise. Mon beau soleil d'hiver, lui, je ne peux pas le rater. C'est ma caresse des grands froids, une petite chaleur volée derrière la vitre.

L'hiver nous promet tant ! C'est du printemps qui dort, des jupes courtes sur des cintres, des fleurs à éclore, des avrils délicieux et des tournoiements enlacés dans les soleils de mai.
Il faut voir comme c'est beau cette rumeur légère derrière les drapeaux, par-delà la mort même, tous ces printemps qui viennent après la pluie, après la peur, après l'orage.

Il faudra bien qu'un jour le jour se lève.