jeudi 5 avril 2007

Chut !

Me voici donc entre chien et loup, à la limite où la volonté de dire marque le pas face à l'indicible, au lieu précis où la pensée renonce à s'incarner. Non que les mots soient absents ou qu'ils soient vains à décrire les mouvements qui agitent mon esprit et mon cœur. En dépit de leur imperfection et de mes efforts pour les contraindre, je me suis résigné à eux, à leur imprécision, à leur violence. J'ai même appris à me satisfaire parfois de leur encombrante fidélité. Ce qui me réduit au silence, c'est autre chose qu'une phrase impossible. C'est l'effroi d'une certitude et la crainte d'un cœur où je n'habite pas. C'est la terreur de la conséquence.

Il y a des choses qu'on ne dit pas pour la seule raison qu'on ne doit pas les dire. Non pas que la morale s'y oppose : dans ses circonvolutions intimes, la pensée fait peu de cas de l'éthique. C'est juste que les choses qu'on dit, on les dit pour quelqu'un, quelqu'un qui, même sur l'oreiller ou dans l'intimité de la promenade, reste une âme étrangère à laquelle nous lie le seul mystère de l'abandon. Car pour finir, rien d'autre n'existe entre nous que ce mystère. Ne pas dire, c'est alors ne pas dévoiler, ne pas exposer, ne pas altérer. Ne pas écrire, c'est renoncer au langage qui abîme, à l'innocence inconséquente des sentiments. C'est taire une pensée qui nous ferait du mal, abandonner une chimère dangereuse et, dans le silence de la réalité retrouvée, rendre leur densité aux arbres de l'allée et au parterre de jonquilles.