lundi 24 novembre 2008

Doors

La porte de ma chambre.
La porte du salon qui donne sur la cour.
La portière de la voiture.
De nouveau la portière de la voiture.
Les portes vitrées de l'aéroport.
Les portes du sas de la salle d'embarquement.
La porte du couloir vers la passerelle.
La porte de l'avion.
De nouveau la porte de l'avion.
La porte du bus.
De nouveau la porte du bus.
La porte du terminal.
La porte du hall.
La porte de l'autre aéroport.
Le tourniquet de la gare.
La portière du train.
De nouveau la portière du train.
La porte de la gare.
La porte du bus.
De nouveau la porte du bus.
La porte de l'immeuble.
La porte du vestibule.
La porte de l'appartement.
La porte du bureau.
La porte de ta chambre.

Vingt-cinq portes et ton cœur me séparent de toi.

dimanche 2 novembre 2008

Sur une photo de lui



Tu as dit : « Tiens, regarde »
Et je t'ai regardé
Tu étais allongé sur le lit
Le buste redressé vers la fenêtre du toit
Et ton doigt
Désignant la lumière
Semblait la recréer pour moi

Tu ne souriais pas
Ne regarde pas en arrière
Celui-ci ne t'aimera pas
Plus que les autres naguère

Et le ciel était bas

Tu aimais le soleil et les ombellifères
La musique éclatante et le vin du Midi
Tu aimais le soleil
— Ô l'amoureuse guerre qu'il gagnait sur ta peau
Lorsque je suis parti

Dans le petit matin couché sous la verrière
Tu ne souriais pas
Cette fois c'est la vraie, la bonne, la dernière
Tu le sais
Cette fois je ne reviendrai pas


Je marche dans la ville et le froid me saisit
Je ne regarde pas en arrière
Je vais où me guident mes pas
Comme je l'avais fait naguère
Quittant pour la première fois
La chambre dessous la verrière
Où j'ai connu ta langue amère
Et délétère Dans la rue
Ton souvenir s'épanouit
Comme une odorante cigüe

dimanche 26 octobre 2008

Je veux le silence complexe

Je veux le silence complexe
De la nuit claire où rien ne bouge
Où ma respiration seule trouble
L'air transparent d'une fumée
Je veux le bon silence obèse
Et que plus ma raison ne pèse
Que plus ne revienne l'été
Du souvenir et des regrets

J'écoute
La tête lourde et douloureuse
Une lumière blanche et rouge
Danse devant mes yeux fermés

Et se dirige ma pensée
Vers le point où le ciel bascule
Vers ce point où se tient ton nom
Sur le cadran de la pendule
Céleste
Oh le souvenir de ton cœur
Aimé C'est ma seule prison
— Je veux croire encore en ce nom
Si tu n'as pas fait mon malheur

Dans la cour bleue j'écoute encore
Rien ne répond à mon silence
Que le silence de la nuit
Où rien ne bruit

jeudi 16 octobre 2008

Murder On the Dancefloor

Tu dansais et je t'ai regardé longtemps. Mes yeux scrutaient tous les détails de ton visage, de ton cou et de ton ventre.

Tu dansais et j'ai pensé que tu es beau avec ton air salope, cet air de play-boy à deux balles que je déteste, ton sourire de cadre com et tes œillades posées qui glissent comme des limaces sur les peaux attentives. J'étais tendu dans la contemplation, absent du monde comme parfois j'ai pu l'être en respirant au masque du bloc opératoire, rempli par ton image obsédante, incantatoire, pathétique.

Alors j'ai dit que tu es beau, parce que je ne pouvais pas dire que je te veux, parce que je ne peux pas être ça, le type qui tombe pour un visage, et parce que c'est vrai que tu l'es. Tu m'as souris et tu m'as répondu merci. J'ai dit tu bouges bien, je t'ai offert un verre et tu as continué à sourire.

Tu dansais. La grâce narquoise dans ton épaule était mon paysage. Désir. Plus de mots suffisants, plus rien d'autre que la faim permanente de ton reflet brouillé dans les volutes de mes américaines. Danse, désir. Désir. Éternité.

lundi 28 avril 2008

Meilleur comédien

Je m'étais souvenu de Sophie, la jeune fille qui habitait l'appartement d'en face quand j'étais étudiant. Elle portait des lunettes et sa chevelure était noire et bouclée. Elle n'était ni laide, ni jolie : je la trouvais immature et quelconque. C'était le genre de fille en pull-over tricoté par sa grand-mère, le genre qui garde une peluche sur l'oreiller. Ce genre-là. Je me souviens surtout de l'odeur qui émanait de son appartement lorsqu'il m'arrivait de la croiser sur le pallier. J'avais beau connaître et partager l'exiguïté des studios d'étudiants, cette odeur de poêle froide me la rendait d'autant plus repoussante que j'avais fini par supposer que c'était peut-être son odeur corporelle. Elle m'était foncièrement indifférente, mais sa présence me laissait une impression désagréable. Elle était ordinaire au possible, sans élégance, ce qui, chez une femme, m'a toujours semblé impardonnable.

Un soir, j'avais interprété le rôle charmant du Monsieur de Bellac dans une courte pièce de Giraudoux, elle a frappé à ma porte.
Je fus surpris de sa visite mais je la fis entrer.
Elle avait assisté à la représentation et se montra très enthousiaste quant à ma prestation. Avec une maladresse touchante et pathétique, elle finit par me faire comprendre qu'elle était bêtement tombée amoureuse et que c'était là l'objet de sa venue.
Non sans hypocrisie, je lui répondis que j'étais sensible à sa démarche et aux sentiments que lui inspirait si soudainement ma personne, j'objectai avec humilité que ceux-ci s'adressaient sans doute davantage au personnage qu'à l'acteur et me débrouillai pour la renvoyer bien vite à sa cuisine, certes sans espoir, mais également sans l'impression de s'être humiliée au yeux du premier venu.



Samedi, c'était un autre soir et je jouais encore.
Le public était venu nombreux et riait de bon cœur aux plaisanteries faciles de l'auteur. Je savais car tu me l'avais dit que tu ne viendrais pas. J'espérais ardemment que tu m'aurais menti.

À la fin, j'ai rejoint mes camarades sur l'avant-scène. On est venu me voir et me féliciter, me dire des bravos et s'amuser de mon maquillage blanc. J'ai dit merci, j'ai serré quelques mains et embrassé des joues. J'ai même dit que j'étais content. Et puis, par-dessus les épaules des uns et des autres, je t'ai cherché parmi ceux qui partaient sans rien dire.

Je voulais tant voir dans tes yeux ce que j'ai vu cette nuit-là dans les yeux de cette fille. Ça m'aurait fait du bien.
J'aurais voulu que toi aussi tu me regardes un peu comme elle, comme si j'étais soudain devenu plus grand, plus beau, plus extraordinaire, comme si je n'étais plus seulement le voisin de pallier dont tu sais par cœur les faiblesses, le gros type d'en face dont les joues tombent, le premier venu. C'est ça que j'espérais. C'est juste ça.

Mais tu n'étais pas là.

dimanche 27 avril 2008

Après la nuit

Je ne sais plus par où commencer.

Cela fait tant de jours que la parole m'a quitté que mes doigts ont perdu l'habitude de cet exercice. Ils sont gourds, maladroits, et je sais bien que leurs hésitations ne sont qu'un des symptômes du malaise profond que je ressens.

Peu de lumière filtre dans la pénombre de ma conscience et rien ne me tourmente tant que l'éclair du visage qui s'y est figé et que le sourire dont le souvenir obsédant me tient hors d'atteinte d'une obscurité plus définitive où, sans cela, le chagrin m'aurait poussé.

Il n'y a pas de joie dans mon âme. La mélancolie me dévore avec l'obstination de la vague, sans plus d'acharnement mais avec la même régularité.

Il y eut quelques jours et une interminable nuit. Ce fut en peu de mots notre dernière année.