jeudi 26 février 2009

Passacaille

Pour le danseur.

Un, deux.
Trois, quatre.
Cinq, six.
Sept, huit.
Neuf, dix.
Onze, douze.
Treize, quatorze —,
Quinze.
La foudre de ton bras s’abat devant mes yeux.


J’ai pris rendez-vous pour le 5. C’est un peu tard — la douleur est plus aiguë que jamais —, mais il ne pouvait pas avant et je n’avais pas envie de lui forcer la main. Je n’aime pas lui devoir quelque chose. Je n’aime pas cette impression qu’il me fait une faveur parce que je suis triste, qu’il le voit, et pour que je lui pardonne l’élan stérile que chacun de ses sourires provoque en moi.
Nous n’avons jamais reparlé de ce soir-là et il n’y a pas de raison pour que nous en reparlions un jour. J’imagine pourtant, quand il m’arrive de soutenir son regard, qu’il sait, qu’il se souvient. Il n’y a rien d’équivoque dans nos rapports, rien qui puisse laisser deviner l’inclination définitive qui m’intéresse à lui, au moindre de ses faits et gestes, et pas un signe sur mon visage, ni rictus ni décoloration de la peau, n’indique la cruauté que m’inflige son absence ou celle de ses retours.

Trois, cinq.
Les eaux du fleuve t’entourent comme un parfum. Sous sa caresse, ta tête penche dans l’air tiède et tu souris.


Je les regarde, je les écoute, mais je ne les aime pas.

Six, neuf.
Au bout de tes mains tendues, la souffrance ouvre une fenêtre sur le destin.


Avec obstination, le miroir réfléchit une image qui n’est pas la mienne. Ce gros homme qui me regarde, est-ce moi ? Je ne vois rien par dessus son épaule de la cohorte des visages que j’ai croisés. Rien dans ses cernes, dans les plis de son ventre, dans son sexe flétri et rentré.
Les livres que j’ai lus, où sont-ils ? Où est la marque visible de la musique que j’ai aimée ? En me penchant plus près, est-ce que j’apercevrai la trace d’une ancienne promesse ? Ainsi me reviendront peut-être les visages enfuis, les joues tendres, et les aimants regards qui se posaient sur moi, bienveillants témoins de mon innocence.
Je m’avance mais rien.

Dix, onze.
Le voile se déchire qui te séparait de la réalité ultime. Tu es libéré du mensonge. Par-delà la douleur et le plaisir, tu abordes à présent un mystère nouveau.


Il dit le chagrin passe et c’est heureux. Il fait partie de ces gens qui, parce que j’en suis inconsolable, cherchent à me convaincre qu’il n’y a pas de magie en ce monde, qu’aucune impression, aucun sentiment ne sont assez forts pour tout emporter sur leur passage, que l’amour, le désir ne sont pas des tempêtes et qu’au bout du compte rien de profond ne l’est assez pour ne pas être autrement qu’illusoire.
Je fais mine de céder. Je suis fatigué d’avoir à défendre cette position — ils diront cette posture — qui leur semble injustifiable et monstrueuse : rien n’est plus désespérant que de survivre au chagrin. Ils épousent leur humanité, je la supporte ; ils se consolent, je me débats. Et dans le silence où me retranchent les assauts de leur rationalisme, de leur instinct, je murmure capricieusement le secret de mon obsession : « Moi qui serais morte pour lui, pourquoi ne suis-je pas morte ? »

Douze, quinze.
Te voilà séparé du monde, au cœur du monde. Ne voient-ils pas tous ta beauté ?


Mon cœur se serre quand je pense à la façon dont tes sourcils se détendaient sous la caresse de mon doigt. Plus de sévérité dans ton regard, plus de souffrance. Plus rien qu’une confiance absolue dont le souvenir des mois après me bouleverse encore et dont la seule évocation me punit pour jamais de l’avoir trahie.

Seize, dix-sept.
Tous les cris te transpercent. L’Espérance tisse une toile de lumière dans tes plaies.


J’ai épuisé toutes les pharmacies de la ville au rythme d’une à deux par semaine. Il me faut à présent faire plusieurs kilomètres pour en trouver où l’on ne m’accueille pas avec un regard lourd de suspicion.
Je reste persuadé qu’après tant d’années de consommation journalière, ma dépendance à cet alcaloïde n’est pas étrangère aux douleurs qui envahissent les muscles de ma cuisse et descendent parfois jusqu’à la plante de mon pied droit. Qui sait d’ailleurs si mes troubles anxieux ne sont pas eux aussi liés à cette habitude ? Peu à peu, la sensation de bien-être s’estompe et me laisse confronté à l’étrange spectacle d’une déchéance intérieure dont je suis à la fois l'instigateur, la victime et le dépositaire du secret.

Dix-huit.
Voici la Mort en son cortège, fardée comme une reine nègre. Rien ne résiste à la violence précise de ton pas. Ton épaule est lourde de larmes, mais tes reins se cambrent encore sous la menace du déclin.


Je te regarde et je me souviens.
Je me souviens des samedis matin où on se retrouvait comme en cachette, juste pour parler, pour le plaisir d'être ensemble. Je me souviens de ta voix que je n'ai pourtant entendue qu'une fois, déformée, sur le répondeur de ton portable. Je me rappelle une photo où tu étais un soir en bord de mer, l'air absent, le pantalon retroussé sur les mollets. Je me souviens de ta peur de te faire prendre, de ma peur de te perdre, mais de t'avoir dit au revoir, un jour, parce que c'était mieux comme ça, parce que ça ne pouvait pas être mieux que ça.
Sur l'écran, il y a de nouvelles photos que je n'avais jamais vues. Des gens que je ne connais pas qui t'entourent et auxquels tu souris. Ça a l'air bien, chaleureux, simple. Je fais connaissance avec Stéph, Frédo, Laurent, Alice… Toute la bande. Avec Marion aussi, mais je l'avais déjà vue dans un de tes albums, celui qui n'a qu'une seule image et qui s'appelle « nous ».
J'ai beau me dire qu'un secret nous relie qui n'appartient qu'à nous, c'est difficile de te regarder, de te voir là, avec elle, avec eux, et de n'oser rien dire : surtout ne pas se faire remarquer, ne pas éveiller un improbable soupçon. « Qui c'est ce mec ? Tu le connais d'où ? » J'aime autant éviter de te faire mentir.
Je sais juste, sans trop savoir pourquoi, qu'entre nous il n'y pas d'au revoir possible. Je sais que quoi qu'il arrive, il n'y aura pas d'oubli.

Dix-neuf, Vingt.
Voici l’amour ! Voici l’amour !
Voici l’oubli.


La fin est dans le commencement.
La foudre de ton bras s’abat devant mes yeux.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Xavier

Comme la surprise fut bonne de te voir poser un com sur mon blog...

Le tien respire la poésie,les beaux mots...

Comme tu sais si bien le faire

Je t'embrasse Xavier

Sébastien alias Pegase