dimanche 27 novembre 2011

Réveil

En écoutant François Couperin, "Pièces de clavecin", Livre IV, 25e ordre: "Les Ombres errantes". Alexandre Tharaud, piano.

Le souvenir est une forêt dense où je me suis perdu.
J’oublie, vite, souvent. Les visages et les voix. Les noms. Une odeur. C’est comme si j’avais en mémoire les souvenirs d’un autre, de plusieurs autres. Tout me semble étrange et étranger des fragments agrafés les uns aux autres qui façonnent leurs imperfections, et racontent une histoire insensée.

Ces appartements froids, ces visages aux yeux fixes, les ai-je vraiment connus ? Est-ce qu’il n’y a pas dans les tiroirs de la maison des photographies où je les aurais vus ? Est-ce que je n’ai pas volé dans les récits de mon enfance — ombres errantes, tricoteuse au coin du feu, barricades en carton — la matière imprécise du souvenir que j’en ai ?
Mon avenir est clos. Être au monde, c’est avoir pour seule certitude d’y renoncer. J’aime ce point fixe à l’horizon. Il ne m’effraie pas encore. Comme les montagnes bleues, il délimite de sa présence sensible le territoire de ma vie. La mort est plus fidèle que la mémoire.

Il y a dans le sous-bois, après la maison de mes oncles, à une centaine de mètres au bord de la route, une planche pourrie au-dessus d’un ruisseau. Je l’ai connue cabane.
Il y a dans mon jardin, un cerisier dont le tronc triple se déchire. Je l’ai connu noyau.
Il y a, dans une chambre, le lit sur la barrière duquel j’ai posé mon visage. Le soir tombait et tu as caressé ma tête longtemps.

La mort est plus fidèle.

Lire le texte de Benoît Launay sur la même musique.