dimanche 1 juillet 2007

Futur antérieur

Moi, tout ce que je voulais, c'était que tu sois sur les photos de vacances et qu'il y ait nos deux noms sur la porte. Je voulais juste ça, t'écouter me raconter ta journée pendant le repas du soir, nous chamailler pour la télécommande et te sentir blotti contre moi quand le héros serait en danger, ouvrir une bouteille de vin, comme ça, et la boire en sauvages en discutant de riens, danser parfois, sentir ta poitrine contre la mienne, tes bras autour de mon cou, et sourire à la courbure de tes sourcils quand tu dors, marcher dans la rue, contre la pluie, en relevant nos cols, et entendre ton rire quand nous arriverions trempés, ton rire de gorge, aigu et clair, tenir ta tête sur mes genoux et la caresser longuement quand tu serais triste, parler de la banque et de ce prêt qu'on en finirait pas de rembourser, des cartes de vœux en retard et de l'invitation pour samedi soir, imaginer un enfant que tu serrerais en me regardant, qui te ferait pleurer en t'appelant papa et pour lequel j'inventerais des histoires, et puis te voir vieillir sûrement près de moi dans l'espoir lâche de partir le premier et de ne pas avoir à te survivre, et vivre, au jour le jour, le miracle ordinaire de ta présence et des portes qui s'ouvrent sur ton sourire.
Il y aurait eu des voyages, quelques séjours chez des amis, des fins de mois difficiles et le cadeau à trouver sur la liste de mariage de Rachel et Fred. Il y aurait eu les nuits et tu m'aurais enfin appris à m'aimer. J'aurais senti la légèreté de ton corps et la douceur de mon plaisir dans ton contentement, et tu te serais endormi comme un ange repus, ta queue contre ma cuisse et ta main sur mon cœur. Il y aurait eu tous les matins, nos petits-déjeuners en tête-à-tête, la dispute pour la salle de bain et le linge que j'aurais laissé traîner. Et puis, ce jour-là, je t'aurais regardé partir en me disant soudain que, peut-être, c'était la dernière fois. Alors, je t'aurais rattrapé dans l'escalier et tu m'aurais trouvé un air bizarre. Je t'aurais embrassé, je t'aurais serré contre moi et je t'aurais dit que je t'aime, que je voulais juste te dire ça. Et tu m'aurais regardé en souriant, d'un air qui cherche à comprendre. Comme ça. Je voulais juste te dire ça.

6e sens

Au moment où j'ai fermé les yeux, je les ai tous revus mes morts, et, tandis que je n'arrivais pas à détacher mon esprit d'une expression de son regard, je me suis mis à pleurer.
J'ai bien compris le principe de la mort et qu'elle est sans retour, sans lendemain et qu'aucune porte ne s'ouvrira jamais plus sur leur venue. Sans doute est-ce sur cela que j'ai pleuré, sur cette autre certitude placée à côté de la connaissance de ma propre fin, sur la douleur infinie de l'impossible retour, sur la violence de sa réalité. De l'avenir, je ne saurai rien d'autre que cela : ma mort m'attend, aussi patiente qu'inexorable, et le reste du chemin jusqu'à elle je devrai le faire sans vous. Je sais aussi que ce qui reste de vous autres à présent, c'est ce qui restera de moi : une pensée parfois aux anniversaires, une image dans le soir que le temps affadit et dont, au bout du compte, on ne sait plus si elle est un souvenir ou le souvenir d'autres images sur l'album. On oubliera ma voix et l'éclat qui faisait vibrer mes yeux quand je riais. Un jour même, on oubliera mon nom. Je n'en ressens aucune amertume : c'est la règle et je la respecte.
N'empêche que c'est un jeu de con et que, dans le lit où s'agitait mon désespoir hier, je me disais que j'aurais bien donné cinq ans de ma vie triste pour caresser ses mains encore quelques instants, pour sentir ses baisers enfouis dans mes joues rondes. J'ai peut-être été trop aimé pour trouver l'aventure amusante. L'amour est grave. Dire qu'un jour je me persuaderai que tout cela a trop vite passé !