12 avril
« Je regarde le soir
Tomber dans les miroirs
Cest ma vie »
« Nous y sommes. »
Il rangea la voiture sur le côté et elle sortit.
« Merci mon chéri. »
« Tu es sûre que tu ne veux pas que je reste ? »
« Non. Tout va bien je tassure. File, tu vas rater ton train. »
« Bon. Je tappelle dès que jarrive. »
« Oui. »
Il remit le moteur en route tandis quelle lui faisait un petit signe de la main. Quelques secondes plus tard, la DS avait déjà disparu au bout de la rue.
Dans lascenseur, dune main experte, elle vérifia la bonne tenue de son chignon et remit en place une épingle un peu lâche.
Après avoir fermé la porte, elle ôta ses gants noirs et ses boucles doreilles quelle abandonna négligemment sur le marbre de la petite commode de lentrée. Dun geste rapide, elle épousseta la veste et la jupe de son tailleur.
Le soir tombait. Elle était seule dans le salon, debout contre la vitre. La tasse de thé brûlant faisait des buées sur le verre. Elle la posa avec précaution sur la petite table basse et prit un carton bordé de noir qui traînait là. Elle lut :
« Madame Henri Gardès, sa mère,
Monsieur et Madame André Gardès,
Monsieur Robert Gardès
mort pour la France à Djelfa (Algérie), le 20 mars 1955,
à lâge de 25 ans.
Ses obsèques seront célébrées en léglise de Pantin,
le mardi 12 avril 1955, à 15 h 30. »
Elle hésita quelques secondes, puis elle poussa la porte. On avait posé sur le lit le carton envoyé par larmée et qui contenait les affaires personnelles de Robert. Elle regarda la chambre. Le papier peint avait deux ans. Il était neuf pour ainsi dire. Cétait juste après la mort dHenri. Elle sassit doucement sur le lit.
Sous la couche des vêtements et des affaires de toilette, elle trouva un jeu de carte, un harmonica, un peigne dans son étui, une petite boîte dans laquelle on avait glissé la chaîne en or de son baptême quil avait fallu agrandir en fondant deux napoléons , une boussole, un portefeuille, un briquet, des mots de camarades, des lettres de parents et damis dont ses propres lettres et, sous une pile de photos mélangées, un calepin et dautres lettres entourées dun ruban. Le téléphone sonna.
Cétait André. Il était bien rentré. Thérèse et les enfants allaient bien. Thérèse sen voulait terriblement de ne pas avoir pu venir. Elle répéta quelle comprenait, que ce nétait pas grave.
« Tout va bien, vraiment ? »
« Oui, mon chéri. Ne tinquiètes pas, ça va aller. »
« Tout de même, je men veux davoir dû te laisser si vite. »
Elle ne répondit pas.
« Quest-ce que tu fais ? »
« Oh, rien. Je range un peu. Je crois que je vais aller me coucher tôt ce soir, je suis un peu fatiguée. »
« Nen fais pas trop, hein ? Tâche de te reposer. »
« Oui. »
Elle sentit une gêne dans sa voix.
« Bon, je te laisse alors »
« Oui. Embrasse Thérèse et les enfants pour moi, tu veux ? »
« Bien sûr. Je te rappelle bientôt ? »
« Oui. »
« Bonne nuit, Maman. »
« Bonne nuit, mon chéri. »
« Je »
« Oui ? »
« Non, rien. »
Elle avait encore dans sa main gauche le petit paquet de lettres enrubanné. Elle retourna sasseoir sur le lit et défit le ruban.
Elle parcourut lune après lautre les lettres du paquet. Elle se sentit bientôt un peu honteuse de lire ainsi des mots qui ne lui appartenaient pas et dont elle aurait dû ignorer jusquà lexistence.
Elle nota soigneusement ladresse indiquée en tête de chaque lettre et refit le paquet.
Le lendemain, elle se rendit à la poste.
Sur le chemin, elle sarrêta chez un fleuriste auquel elle acheta une demi-douzaine de roses.
En rentrant chez elle, elle appela un taxi.
« Où allons nous, Madame ? » demanda le chauffeur.
Elle était à nouveau silencieuse et absente.
« Madame ? » insista le chauffeur.
« Au cimetière. », finit-elle par répondre.
Sur la banquette arrière, près des roses, elle regarda le ciel par la vitre fermée.
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