dimanche 19 août 2007

J'ai piscine



La vérité, c'est que je cherche quelqu'un à qui parler, maintenant, ce soir, et que je ne connais personne qui puisse entendre ce que j'aurais à dire. La vérité, c'est qu'il n'y a jamais personne pour entendre, personne qui soit assez disponible, assez tendre, assez compréhensif, personne d'assez inhumain pour entendre sans avoir envie de frapper, de me rappeler d'un ton sec que c'est dur pour tout le monde et que ce ne sont pas quelques larmes gâchées sur mes états d'âme qui vont changer grand-chose, que je ferais bien mieux de me bouger le cul. Pourtant je n'ai rien demandé, pas même qu'on me plaigne, surtout pas ça. Je voulais juste, histoire de voir, garder la tête sous l'eau comme quand on était gosses, sans respirer, sans autre bruit que celui de la pression dans les oreilles, les yeux ouverts, porté par les bras invisibles de l'eau chlorée. Je voulais juste un truc comme ça et qu'il y ait des bras ce soir, juste ce soir, pour me porter.
J'ai un peu l'impression de me noyer dans une grande piscine d'hommes. Tandis que je me débats, que mon cœur me tire vers le fond comme un boulet, comme un piano, je cherche vainement une oreille, un regard. C'est comme un film au ralentit, et je les vois tous là, avec leurs cœurs qui traînent et leurs bras qui gigotent. Ils frappent la surface de l'eau en espérant qu'on les sorte de là et les éclaboussures les rendent aveugles les uns aux autres. Personne ne viendra. Personne ne s'en sortira. On va juste tous glisser doucement vers le fond, et il y aura même un moment, un bref moment où on aura pas envie de remonter. Parce que sous l'eau, c'est calme. On se sent presque bien. On n'entend plus les cris, les bras qui claquent la surface et le bouillonnement de l'eau rentrée dans les gorges. Les jambes des voisins font des mouvements désordonnés et, parfois, ils cognent avec leurs pieds, sans faire exprès ou dans l'espoir de sauver leur peau en se faisant une marche de la vôtre, un petit escalier de cadavres pour respirer l'air pur. On les regarde se débattre : « Et moi, j'ai l'air de ça ? » Parce que bon, même à ce moment-là, c'est encore soi qu'on regarde, infoutu de comprendre que moi ou lui c'est pareil, qu'on est juste deux cons qui se noient et que la piscine sera encore bien pleine si l'un de nous reste au fond. Ou les deux.
Soudain, l'orteil frotte le revêtement rugueux. Sans réfléchir, on tape, on remonte vers la lumière qui danse à la surface. Mon voisin me sourit. Arrivé en haut on respire un grand coup et on recommence. Au même endroit, avec les mêmes personnes, les mêmes vaines gesticulations. Parce que là haut, il n'y a pas de bras pour nous sortir du bain, personne pour entendre nos cris. C'est dur pour tout le monde. C'est bien pourquoi tout le monde s'en fout.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Oui mais non.

Xavier Moulia a dit…

Je ne peux pas t'en vouloir d'espérer que j'aie tort. Je l'espère aussi, tu sais. Sans cela, nous aurions arrêté de gigoter comme les autres.