lundi 17 mars 2003

Polas

Pour Benjamin.

Il y a des jours, on traîne les mains dans les poches sur la plage et des bateaux s’éloignent dont on distingue à peine les vapeurs. On est sur le quai, la gorge serrée sous les mouchoirs qui s’agitent, et le train part dans le fracas habituel des amours qui se séparent. On est aussi les uns contre les autres souvent, le dimanche soir, quand la voiture démarre et qu’il faut rentrer parce que les enfants ont école demain. Il y a alors, dans le rétroviseur, de vieilles gens dont les mains font des signes et dont les cœurs invisibles se serrent. Parfois, c’est vrai, on se sent un peu seul dans la foule du métro quand on vient de croiser un sourire. Il y a comme ça des jours et des possibles qui passent et dont on se souvient.

Il y a des dimanches, il fait beau et on est bien dans l’air tiède. On rêve seulement d’une rivière, d’une nappe en vichy posée sur l’herbe à l’ombre, et d’un melon qui se balance dans l’eau fraîche. Il y a des souvenirs d’enfance entre les épis de blé qui plient doucement sous la brise, et les coquelicots. Il y a des baisers rêvés et des premiers, des tendres, comme figés dans l’air, dans les foins, au coin des rues, dans l’obscurité d’une cage d’escalier ou le soleil mouillé des vacances à la mer. Il y a de beaux dimanches sages allongé contre toi, dans le ronronnement lointain des tondeuses et l’indifférence superbe des abeilles qui butinent de fleur en fleur.

Il y a des jours interminables et laids dans les cours de danse où les petites filles martyrisent leur corps, sous les ponts dont on se jette en se disant peut-être que les larmes sont solubles dans l’eau des fleuves, sur les rails où l’on voudrait broyer un peu de souffrance ordinaire, au bout des routes sans retour. Il y a les nuits à l’hôpital et, sous les néons pâles des couloirs, de petites mains tremblantes qui cherchent à tâtons dans l’air puant d'ether la peau du bien-aimé, et la caresse illusoire d’un adieu impossible. Il y a les cris qu’on étouffe et, parfois, les douleurs qui déchirent, suraiguës, et qui montent comme des prières.

Il y a les jours d’ennui et leurs rires forcés, les messages qu’on envoie comme des bouteilles à la mer, parce qu’on a la solitude au bout des doigts, les thés qu’on boit avec une légèreté feinte, puisqu’il vaut toujours mieux feindre un peu de bonheur. Mais il y a les mensonges qu’on hurle ou qu'on murmure, comme le plaisir dans tes draps. Il y a des dimanches. Allongé contre toi, les continents dérivent et nos deux cœurs, dans le bourdonnement lointain des autres indifférents. Sous les fleurs.

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