jeudi 27 septembre 2007

Les Lego

Il m'arrive parfois, comme ce soir, de penser aux choses que je ne peux pas dire, même ailleurs, même ici. À toutes ces choses qui, sans me tourmenter véritablement, agitent mon esprit, créant ça et là des coins d'ombre où j'ose à peine m'aventurer. Des questions sans réponses aux mouvements confus d'un cœur aimant, de l'altruisme enviable à l'égoïsme secourable, de l'exaltation romantique du sentiment à la force admirable de la chair… Tant de choses sur lesquelles ma pensée met les mots que ma main se refuse à écrire. Tant de choses si véritablement intimes qu'il faudrait pour les dire se résoudre à déchirer la part de soi qui les sépare du monde.
Ici, la raison, le rêve et l'émotion bâtissent de monstrueuses chimères. Ici, il n'y a pas d'interdiction, pas de blasphème. Il est, dans le secret de l'âme, un endroit de liberté guerrière, terrible et ravageuse, gourmande de tout et de tous, unissant dans une même extase la jouissance et l'horreur, le beau et l'ignoble, ignorante de la morale, de la loi, du refus, pure enfin de tout vice autant que de toute vertu.
C'est ma part du Royaume, une part discrète où créer mes propres mondes, à nouveau libre enfin de cette connaissance du mal sans laquelle tout redevient possible, imaginable et pur. Tel que j'étais enfant, dieu des fourmis et des Lego, arrachant les ailes des mouches et agaçant les chats, reniflant des éthers qui m'étourdissaient, bâtissant des châteaux dans le seul but de les détruire.
Il n'y avait dans tout cela pas une once de vice. Rien d'autre qu'une insatiable curiosité et qu'un plaisir intense que n'avait pas encore souillé la morale commune. Des bêtises. Une enfance ordinaire. Les fourmis du dimanche et les Lego sur le palier.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Qu'il est beau, ce texte.
Madoué !

Comme tu as trouvé les mots, justement, qui formulent avec élégance et profondeur ce qui dans l'esprit de la plupart des gens n'est même pas identifié, pas qualifiable, ou alors un brouillard dont on ne s'approche pas.
Cette part du Royaume existe bel et bien : tu viens à mes yeux de la révéler telle qu'en elle-même, telle qu'en chacun de nous, plus spécialement peut-être, nous les rêveurs.
Peut-être.
Je ne sais pas.

A "rêveurs", j'allais ajouter "créateurs".
C'est prétentieux, non ? Je l'ajoute.

Xavier Moulia a dit…

Merci Vincent.
Je n'avais pas, en écrivant ce texte, l'impression d'y parler de choses bien extraordinaires (d'ailleurs, est-ce le cas ?). Je suis néanmoins heureux qu'il t'ait rencontré. Toi et quelques autres « rêveurs ».

Anonyme a dit…

En lisant ce texte, j'ai l'impression d'emprunter un chemin où on marche à l'envers. Vers cette part de soi-même située en-deçà de la connaissance du mal, mais aussi de celle du bien. Au site du moi à l'état naissant.
Merci d'avoir trouvé ces mots pour dire ce lieu si difficile à dire

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