dimanche 18 novembre 2007

Mastic



« L'Empire des signes

En créant un « espace » d'échanges affranchi des limites physiques de la matière et du temps, Internet a imposé la nécessité d'une nouvelle géographie. L'outil est devenu l'endroit, et de la masse incroyable des câbles et des machines a émergé un nouveau continent, un supra-continent qui est aussi un nouvel empire. Là, le matin et le soir n'ont pas davantage de sens que le kilomètre ou le gramme ; le soleil ne se couche pas plus que la nuit ne prend fin. Les lois qui régissent l'univers sont ici sans objet.

Il aurait fallu inventer un nouveau langage pour décrire ce monde qui, précisément, n'en est pas un. Au lieu de cela, par facilité — par mimétisme, nous avons choisi d'imposer les codes de notre réalité à celle des machines : les écrans ont désormais des bureaux, les fichiers ont un poids, les ordinateurs ont des adresses… Ainsi, l'avènement du réseau mondial devait également être la dernière colonisation du XXe siècle : celle du continent numérique. Une colonisation propre, sans cris, sans protestation, sans odeurs de cadavres, mais animée de la même volonté pseudo-civilisatrice de domination des consciences, puisque Internet impose partout les mêmes gestes, la même réalité, la même culture.

Comme toujours, le maléfice est enchanteur et la perception l'emporte sur la vérité. On décrit volontiers le réseau comme un espace libertaire et chacun croit tenir à sa disposition un outil lui permettant de manifester sa singularité ou de promouvoir sa culture. Mais quelle singularité peut-on manifester quand on fait comme tout le monde, avec les mêmes outils que tout le monde, avec les mêmes contraintes ? Et quelle autre culture peut-on mieux promouvoir par Internet que celle d'Internet lui-même ? »


J’en étais là de ce texte compliqué à construire, lorsqu’une terrible tristesse s’abattit sur moi. Pour qui étais-je en train d’écrire ? Pour qui cela serait-il important ? Si c’était pour moi, quel besoin avais-je de rédiger avec acharnement ce qui était parfaitement clair dans mon esprit ? Était-ce pour partager mon point de vue ou en garder la trace ? Ç’eût été me donner bien de l’importance. Était-ce pour me donner de l’importance ? Ç’eût été bien vain.

Les gens qui lisent mes textes sont toujours un peu les mêmes : ils savent à quoi s’en tenir. Ils connaissent cet amour maladif des adverbes qui est la marque visible de ma maniaquerie, ce qu’avec mansuétude on appelle « un esprit exigeant ». Ils savent comment opère ma séduction, dénonçant le mensonge et méfiante des artifices, mais sournoise et pénétrante, pétrie de jolies phrases et de bons sentiments.

Je me sentis comme foudroyé par la vanité de ma tâche. Amené, une fois de plus, à décrire l’intangible inhumanité des Hommes, je fus réduit au silence par l’impossibilité de m’y soustraire et de la combattre. Il m’apparut avec une évidence plus grande encore que je ne pourrais pas gagner, ni contre moi-même, ni malgré les autres, que rien ne saurait plus empêcher le désastre à venir, et certainement pas ma voix infirme dont les maigres talents dissimulent bien mal la lourde insignifiance.

Je me sentis mécontent de moi-même, de mon incapacité à peser sur le réel, de ce brouillard de mots qui s’appliquait moins à convaincre qu’à camoufler mon inutilité. Je me sentis laid comme jamais, misérable et vain, trop orgueilleux dans mon silence pour y être véritablement humble, trop anéanti dans mon orgueil pour ne pas être silencieux. Je me sentis seul car tu n’étais pas là, et dans l’œil du chagrin qui m’emporta soudain, je m’avisai que j’étais nu.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tu as mis une citation en exergue de ton blog - elle répond en partie à ta question.
Ecrire pour soi, parce que c'est le seul moyen de ne pas être dévié de sa vérité par le désir de l'autre - vanité ou pas, mais qu'est-ce qui ne l'est pas ? - et parce que c'est le moyen le plus sincère d'amener l'autre à trouver un écho à sa propre vérité.
Houlà... Bon, je me suis un peu perdu dans ma phrase...
Echo à un article récent du monde diplo parlant de la nécessité d'inventer un nouveau langage pour le net, écho de mes propres préoccupations sur pour qui écrire, écho...
Dans le monde du "moi je" c'est déjà bien de trouver un peu d'écho.
(et j'aurais dû vérifier l'orthographe d'écho... J'ai un doute là. Non ?)