dimanche 4 novembre 2007

Titanic



Démocratie : le mot est tellement gros qu'ils en ont plein la bouche. La démocratie est devenu le dernier jouet à la mode autour duquel se rassemblent tous les populismes : celui de l'administration néo-conservatrice américaine qui voit en elle un remède à l'instabilité du monde, celui de la droite française qui tient une victoire pour un blanc-seing, celui des blogueurs qui usent la liberté d'expression jusqu'à la trame du néant, celui de la télé-réalité qui donne à croire aux spectateurs que leur mauvais goût les autorise à distinguer entre les médiocres. Et tant d'autres fous, plus ou moins dangereux, qui bâtissent leurs empires sur le sable des émotions collectives, bien plus malléable mais tellement plus instable que le ciment de la raison.

La vengeance devient justice, le désir amour et la colère détermination. Les mots perdent leur sens et se confondent, ouvrant une brèche sur le terrible. L'humanité ne déçoit pas : avec elle le pire est toujours certain.

Les démocraties modernes sont devenues des dictatures molles dont l'opinion est le tyran. Un tyran manipulable à loisir, dont il suffit de flatter le sens des responsabilités ou d'agiter les peurs pour en obtenir ce qu'on veut. Les mauvais parents font de bons gouvernants, les ruraux enclavés des experts en matière d'immigration. Au nom de l'égalité, on place sur un même pied l'avis du savant et celui des imbéciles, excitant chez les seconds — de loin les plus nombreux — la haine des élites. L'expérience individuelle est valorisée aux dépends de la connaissance, l'impression et le sentiment aux dépends du savoir. Pour ne laisser personne sur le bord de la route, il est au fond tellement plus simple d'y mettre tout le monde.

La démocratie telle qu'on l'entend aujourd'hui n'est pas un régime politique. Elle se résume à être l'outil de l'expression populaire. Elle n'est porteuse d'aucune des valeurs fondamentales sans lesquelles son exercice se résume à un choix conduit par la seule émotion, par le seul instinct. Elle est devenue, selon le mot célèbre de Churchill, « le pire des régimes », un régime sans âme où la distance et l'analyse n'ont plus leur place, où seule compte la réactivité, où le personnel politique n'est plus jugé sur sa capacité d'anticipation mais sur son adhésion au réel, où les programmes de télé-réalité initient les masses aux vertus du licenciement sec, où Internet suffit pour avoir une tribune et avoir un avis pour être compétent. Un régime où tout ce qui est complexe paraît suspect, où les libertés individuelles sont devenues les ennemies de la sécurité et de la paix sociale, où les communautarismes, derniers refuges de l'irrationalité, divisent et séparent les hommes, créant autant de distinctions dangereuses et mortifères. Mais une société qui privilégie ainsi l'instantanéité sur l'effort, la peur sur la curiosité, le sentiment sur la sagesse, cette société-là ne mérite peut-être pas de survivre. Quelle importance après tout, si nous coulons tous ensemble ?

3 commentaires:

Unknown a dit…

Churchill ajoutait toutefois "a l'exception de tous les autres". ;)

Tu uses ici de ton don d'écriture pour mettre en avant ce que justement tu combats. Car ton texte est pervers à plus d'un titre (et c'est pour cela que je l'apprécie) : il démontre que la démocratie porte en elle, par principe, le terreau sur lequel poussent les plantes carnivores qui vont la dévorer. La liberté, c'est avant tout la liberté de pouvoir, pas juste de choisir, et d'aucuns ont pensé qu'il suffisait de s'en contenter et que l'action se limitait à parler, juste pour entendre le son des voix, les mots étant juste là pour la sonorité. Cela me rappelle un ami qui dans sa folle jeunesse s'était posté à l'entrée d'une usine, distribuant des tracts sur lesquels il était imprimé "Bla bla bla". Les syndicalistes du lieu l'avaient expulsé sans ménagements. Pourtant il y avait dans ce tract bien plus de combat que dans tous ceux qu'ils pouvaient imprimer à longueur d'année. Mais peut-on encore comprendre, lorsqu'on nous explique tout avant même que les questions ne soient posées ? ;)

Bon, bien peu de place ici : cela mériterait une soirée entière, autour d'une bonne bouteille, pour refaire le monde. C'est inutile, mais qu'importe... ;)

Unknown a dit…

1 / Ne jamais poster de commentaires quand on est affreusement fatigué ! C'est incompréhensible ! :D

Anonyme a dit…

You write very well.