Montre en main
Je n'écris presque jamais sur ma vie quotidienne. Sans doute n'est-elle pas moins importante que celle de n'importe qui, mais elle ne l'est à coup sûr pas davantage. Peut-être n'est-elle seulement pas aussi riche, ni aussi trépidante que celle de certains. J'aurais mauvaise grâce à m'en plaindre puisque, au bout du compte, cette vie-là, c'est celle à quoi j'ai consenti, celle que j'ai construite et, qu'il me plaise ou non de le penser, celle que j'ai choisie. Chaque jour y ressemble à s'y méprendre à celui qui le précède et les seules véritables variations qu'on y peut observer tiennent aux circonstances plus qu'à ma volonté. Si je n'en parle pas, ce n'est pas par souci de discrétion. C'est juste que je ne sais pas raconter les choses ordinaires, et que ce type de récit qui peut me captiver chez d'autres, lorsqu'il touche ma propre existence, me semble de bien peu d'intérêt.
Une journée-type se déroule comme suit.
La radio se déclenche une minute avant le journal de 7 h 30 de France Inter. Malgré cette précaution, je ne me réveille pas avant 7 h 40. Sitôt sorti du lit, j'allume une cigarette et je descend au séjour ouvrir la porte qui donne sur la cour afin que l'employée de maison, qui arrive aux environs de 7 h 45, puisse entrer. Je remonte alors à l'étage où, après avoir rêvassé dix bonnes minutes, je fais ma toilette et je m'habille. Je redescends alors prendre mon petit-déjeuner et mon comprimé de Paroxétine. Il est à peu près 8 h 20.
Vers 8 h 45, soit avec quinze bonnes minutes de retard, j'arrive à l'imprimerie où j'adresse un bonjour maussade à mes frères (dont la moue indique clairement que je suis en faute) et à mes collaborateurs. La matinée se passe en travaux divers, cafés et pauses cigarette.
À 12 h 30, je rentre déjeuner à la maison. Le cas échéant, je fais un détour par le centre ville pour aller chercher ma mère qui m'aura immanquablement prévenu à 12 h 20. Le repas est pris en quinze minutes, en écoutant Le Jeu des mille euros, toujours sur France Inter. À 13 h, je monte m'allonger jusqu'à 13 h 50. J'écoute de la musique pour ne pas m'endormir. Parfois, quand la saison est fraîche, la chatte vient se lover contre moi.
Après un café rapide, je retourne à l'imprimerie. Il est 14 h 03. L'après-midi se passe en travaux divers, cafés et pauses cigarette. Parfois, quelques conversations avec mes collègues émaillent la journée. Il y est surtout question de politique locale ou de faits divers.
À 18 h 30, je rentre à la maison. Depuis l'accident cérébral de papa, nous dînons tôt (vers 19 h 30), ce qui lui permet de regarder ensuite les actualités nationales sur France 2. Quand il a terminé, j'aide maman à le coucher.
Je ne commence à m'appartenir vraiment que vers 21 h, heure à laquelle je m'affale devant la télévision ou, plus souvent, devant l'écran de mon ordinateur. Là, je discute de choses essentielles avec quelques personnes de qualité qui, pour finir, vantent mon humanité et s'accordent d'ordinaire à me donner raison. Il est enfin 23 h 15 et je téléphone alors à mon compagnon qui vit à 200 kilomètres de moi. Je suis triste.
C'est l'heure du coucher. Je fume une dernière cigarette avant la toilette du soir, puis je m'allonge sous la couette en attendant, souvent longtemps, de m'endormir.
Voilà. Il y a bien sûr quelques variantes le week-end, avec des courses dans les magasins, à la pharmacie, ou des visites chez le coiffeur, une expo photo de temps à autre (une association locale en propose de remarquables), presque jamais de cinéma. Il y a aussi quelques passages chez les trop rares amis qui vivent encore ici. Ceux qui sont partis ont peut-être pensé qu'ailleurs ce serait différent… Je crois surtout que le principal charme des ailleurs est de ne pas être ici.
Mais moi, avec mon réveil réglé sur 7 h 29 et le coup de fil triste de 23 h 15, est-ce que je ne suis pas ici à l'ailleurs de partout ?
4 commentaires:
je suis ton propos depuis longtemps, Xavier. ce soir, mais j'ai bu un peu de trop de champagne, il me cueille à froid. c'est vrai que tu n'écris sur toi que par des discours détournés. ici, tu te dispenses de tout propos qui pourrait être interprété comme une plainte. il y a de l'acceptation d'un sort, de la résignation. les mots "maman", "papa" résonnent toujours étrangement à mon oreille. ils évoquent presque Aznavour. Le billet aussi. et pourtant je ne veux pas lire dans ta vie ce que tu sembles vouloir y écrire : le mot "médiocrité", dans son mauvais sens. Le rythme horloger, il est le fait de tout le monde. moi, il me rassure terriblement. il n'y a que dans les romans d'aventures (ou les feuilletons américains) que le héros est réveillé en pleine nuit par le bruit des petits cailloux qui viennent taper contre sa vitre. pour nous, humbles hommes, c'est le réveil qui nous ramène à la conscience aiguë de notre petite existence. oui, nous menons des vies médiocres, mais si ce n'est pas la meilleure des vies, au moins tachons-nous de la rendre supportable. et cela suffit à faire de nous des héros. je suis vraiment trop pété. faut que j'aille me coucher
Ultra Moderne Solitude ?
;)
Xavier,
il m'arrive de passer par ici, de temps à autre. Ca fait longtemps que je n'étais venu te lire. Mais comme souvent, je dois dire que j'aime bien ce que tu écris. Que ce soit original, ou pas. Futile, mais captivant.
Ou alors c'est juste cette envie de lire quelque chose.
Mais c'est bien.
Julien
Georges...
Il tombe mal ton texte... mais bon... ;-)
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