vendredi 8 novembre 2002

Les concours de zizis

J’étais au parc. Assis sur un banc, je profitais mollement d’une de ces dernières journées rouges d’automne, quand l’air est encore tiède et sec. Dans l’allée, deux jeunes femmes se croisèrent. Elles étaient, me sembla-t-il, à peu près du même âge, ordinaires au possible et avec cet air de contentement discret que la maternité donne aux femmes. Chacune poussait une chaise d’enfant. Elles se croisèrent donc sur le bas de l’allée au bord de laquelle j’étais assis. Je surpris un échange de rapides coups d’œil au landau du camp adverse. Elles contemplaient l’enfant de « l’autre » et l’air discret du contentement fit place à une moue souriante, crispée et pleine d’un dégoût sournois bien mal dissimulé. Elles échangèrent un salut de la tête et chacune reprit son chemin, bien droit, bien loin.

Cette scène anodine resta longtemps dans ma mémoire et je revoyais ces deux femmes se croiser dans ma tête tandis que la journée s’achevait et que les marronniers du parc s’estompaient peu à peu dans la brume du soir. Puis je sentis le froid, la nuit, et je rentrais.

Je suis de ceux qui croient à la thérapie par l’exemple. Je crois, peut-être avec quelque naïveté, que la comédie corrige bien les mœurs en riant et que le comportement de ces deux femmes peut avoir quelque intérêt pour ceux qui sont assis sur des bancs. Je crois que ce qui vaut pour les uns vaut pour moi et que, n’étant pas meilleur que le reste des hommes, leurs défauts sont aussi les miens. Je vois, partout, des marques de la même mesquinerie quotidienne, mais bien loin de m’en offenser ou d’en rire, je sens qu’elle me lie confusément au reste des humains.

Qu’il s’agisse d’un gros beauf jetant des yeux d’envie sur la voiture customisée de son voisin, d’un respectable utilisateur de Macintosh gonflé d’orgueil à la seule évocation de sa machine et la comparant non sans quelque imbécile fierté à celle des autres, d’un dialogue de sourds autour d’une bibliothèque iTunes idéale (puisque la merde, c’est le goût de l’autre), de celui-ci, qui a grande gloire d’avoir déniché la même pièce que tout le monde à moitié prix, ou de celui-là, fou de joie d’avoir enfin posté un six millième message au contenu monosyllabique, tous sont mes frères et je les aime ainsi.

Car il est bien entendu, dans cet esprit si étroit qui est le mien, qu’avoir le goût des belles choses, de la musique de Bach et des couchers de soleil, qu’avoir la plume facile et l’éloquence bien pendue, et que railler l’indigence ordinaire de mes contemporains tééfunophiles font de moi cet être supérieur, parfait aboutissement d’une civilisation raffinée dont les fondements ne sauraient pas même trembler sous les coups de boutoir d’aviateurs fous.

Or, ce contentement d’ordinaire si discret qui est le mien, est aussi celui des autres. C’est celui des cours de maternelle, où l’on se montrait furtivement le zizi, espérant rassurer son ego à l’aune d’une comparaison fugitive. C’est cet air de béatitude qu’ont les vieilles personnes qui ont trouvé plus malade qu’elles. C’est cette certitude absolue d’avoir une progéniture de qualité supérieure, une incomparable bête à concours auprès de laquelle les enfants des autres ne sont que les enfants des autres.

L’esprit de compétition si fortement ancré dans les comportements humains est une aubaine pour notre société de consommation. La publicité n’a jamais hésité à faire appel à ce qu’il y a en nous de plus mesquin, de plus envieux, pour vanter les mérites du produit « qui va achever le voisin » ou de celui, mesdames, qui fera de vous « la parfaite ménagère que votre mari n’aura plus honte de sortir en ville ». Mais le monde est plein de parfaites ménagères, et je n’ai pas envie d’achever mon voisin.

Qu’on me foute la paix ! Je voulais juste me rassurer un peu à l’aune du zizi des copains.

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