Les concours de zizis
Jétais au parc. Assis sur un banc, je profitais mollement dune de ces dernières journées rouges dautomne, quand lair est encore tiède et sec. Dans lallée, deux jeunes femmes se croisèrent. Elles étaient, me sembla-t-il, à peu près du même âge, ordinaires au possible et avec cet air de contentement discret que la maternité donne aux femmes. Chacune poussait une chaise denfant. Elles se croisèrent donc sur le bas de lallée au bord de laquelle jétais assis. Je surpris un échange de rapides coups dil au landau du camp adverse. Elles contemplaient lenfant de « lautre » et lair discret du contentement fit place à une moue souriante, crispée et pleine dun dégoût sournois bien mal dissimulé. Elles échangèrent un salut de la tête et chacune reprit son chemin, bien droit, bien loin.
Cette scène anodine resta longtemps dans ma mémoire et je revoyais ces deux femmes se croiser dans ma tête tandis que la journée sachevait et que les marronniers du parc sestompaient peu à peu dans la brume du soir. Puis je sentis le froid, la nuit, et je rentrais.
Je suis de ceux qui croient à la thérapie par lexemple. Je crois, peut-être avec quelque naïveté, que la comédie corrige bien les murs en riant et que le comportement de ces deux femmes peut avoir quelque intérêt pour ceux qui sont assis sur des bancs. Je crois que ce qui vaut pour les uns vaut pour moi et que, nétant pas meilleur que le reste des hommes, leurs défauts sont aussi les miens. Je vois, partout, des marques de la même mesquinerie quotidienne, mais bien loin de men offenser ou den rire, je sens quelle me lie confusément au reste des humains.
Quil sagisse dun gros beauf jetant des yeux denvie sur la voiture customisée de son voisin, dun respectable utilisateur de Macintosh gonflé dorgueil à la seule évocation de sa machine et la comparant non sans quelque imbécile fierté à celle des autres, dun dialogue de sourds autour dune bibliothèque iTunes idéale (puisque la merde, cest le goût de lautre), de celui-ci, qui a grande gloire davoir déniché la même pièce que tout le monde à moitié prix, ou de celui-là, fou de joie davoir enfin posté un six millième message au contenu monosyllabique, tous sont mes frères et je les aime ainsi.
Car il est bien entendu, dans cet esprit si étroit qui est le mien, quavoir le goût des belles choses, de la musique de Bach et des couchers de soleil, quavoir la plume facile et léloquence bien pendue, et que railler lindigence ordinaire de mes contemporains tééfunophiles font de moi cet être supérieur, parfait aboutissement dune civilisation raffinée dont les fondements ne sauraient pas même trembler sous les coups de boutoir daviateurs fous.
Or, ce contentement dordinaire si discret qui est le mien, est aussi celui des autres. Cest celui des cours de maternelle, où lon se montrait furtivement le zizi, espérant rassurer son ego à laune dune comparaison fugitive. Cest cet air de béatitude quont les vieilles personnes qui ont trouvé plus malade quelles. Cest cette certitude absolue davoir une progéniture de qualité supérieure, une incomparable bête à concours auprès de laquelle les enfants des autres ne sont que les enfants des autres.
Lesprit de compétition si fortement ancré dans les comportements humains est une aubaine pour notre société de consommation. La publicité na jamais hésité à faire appel à ce quil y a en nous de plus mesquin, de plus envieux, pour vanter les mérites du produit « qui va achever le voisin » ou de celui, mesdames, qui fera de vous « la parfaite ménagère que votre mari naura plus honte de sortir en ville ». Mais le monde est plein de parfaites ménagères, et je nai pas envie dachever mon voisin.
Quon me foute la paix ! Je voulais juste me rassurer un peu à laune du zizi des copains.
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