dimanche 10 novembre 2002

Un érotisme torride

Au Dude, qui est aussi un grand enfant.

À deux pas de chez moi, il y a un cinéma de quartier, un de ces vieux cinémas aux fauteuils râpés, où des portraits de vedettes oubliées couvrent les murs défraîchis, où dans le faisceau lumineux du projecteur semblent parfois se dessiner les silhouettes d’amoureux enlacés. Un cinéma de poussière, de souvenirs et qui sent bon le renfermé les froids après-midi d’automne. L’image n’est pas bonne, le son est déplorable et on est mal assis. On est bien. On se tient le cœur au chaud et loin du temps qui passe.

Avant chaque projection, en lieu et place des tristes publicités servies par les grands complexes, on y joue de vieilles bandes-annonces des années 40 à 60. J’ai souvent souri de ces séquences surannées qui promettaient, à grand renfort de musique et de voix tonitruantes, le dépaysement de lointaines contrées exotiques, le spectacle édifiant de combats titanesques ou l’érotisme torride d’une cuisse entrevue. J’ai souvent frémi dans la crainte d’une attaque traîtresse des araignées géantes ou des chats de l’espace. J’ai pleuré parfois sur les chemins qui se séparent et les belles agonies en Technicolor et en Cinémascope.

Mais, tandis que Marlène titube dans le couloir du train pour Shanghai, je pense au monde du dehors auquel j’appartiens. Ce monde où les marchands de rêves ne font plus rêver personne, où les jeunes filles pleurent en faux-direct à la télé le jeudi soir, où la beauté du temps présent a si peu de poids face à celle des temps futurs, qui seront des temps meilleurs, forcément.

Les macusers n’échappent pas à cette folie du monde, à cette frénésie globale d’anticipation du bonheur. Du bout de leur clavier, ils rêvent tout haut à ce qui pourrait être, à ce qu’ils pourraient faire, insatisfaits souvent de ce qui est et négligents de ce qu’ils peuvent faire. Je ne les blâme pas. Le mécontentement de soi caractérise celui qui aspire au progrès. Il faut bien que tous nous soyons insatisfaits si nous voulons les temps meilleurs, les lendemains qui chantent et les lundis au soleil.

Pourtant, je m’émerveille encore des gros avions qui volent et des voyages dans la lune. Je me méfie d’un monde où tout s’explique, où tout se planifie froidement, jusqu’à la mort même, où tout s’achète, où tout se vend. Je ne veux pas trop qu’on me dise quelle sera ma vie ni celle des autres. Je préfère garder un rêve ou deux, aussi inaccessibles que les étoiles vers le soir. Et parfois, dans un vieux cinéma, mal assis, j’arrête le temps qui passe, aussi furtivement que la silhouette de Marlène évanouie au bout d’un train chinois.


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